L'Alsace se compose de deux départements, le Bas-Rhin (67) et le Haut-Rhin (68). Ces deux départements faisaient partie de la Région Alsace, engloutie par la Région Grand Est à la suite de la reforme territoriale de 2016.
Mais, saviez-vous qu'un autre département français faisait partie de l'Alsace jusqu'en 1871 ? Et saviez-vous que ledit département n'existe officiellement que depuis 1922 ? Pour comprendre, il faut réviser l'histoire...
La guerre franco-prusienne de 1870
Cette guerre, pourtant importante, elle est assez mal connue en France de l'Intérieur, c'est-à-dire, ailleurs qu'en Alsace-Moselle. Pourquoi cela ? L'éducation nationale a tenté de l'effacer de l'histoire de France, puisqu'il s'agit de la plus grande défaite de l'armée française face à l'armée des États allemands.
Nous n'allons pas trop nous attarder sur les conséquences qui ont déclenché la guerre franco-prussienne, mais intéressons-nous plutôt aux répercussions ultérieures provoquées par celle-ci.
En Europe centrale, nous retrouvions un vaste ensemble d'États de culture germanique, dont certains étaient groupés dès 1834 au sein d'une zone douanière commune. Avant 1806, ces États n'en faisaient qu'un : le Saint-Empire romain germanique. Malheureusement pour nos amis d'outre-Rhin, Napoléon Ier est venu se mêler de leurs affaires et a fini par dissoudre l'empire.
Otto von Bismarck, ministre-président du Royaume de Prusse à partir de 1862, rêvait d'une unité territoriale des pays de langue allemande. Pour cela, il s'était inspiré des idéaux de la Révolution française, mais il les a appliqués à l'envers.
En France, on disait : "à chaque État sa langue", c'est ainsi que l'idéologie jacobine a cherché à éradiquer et à criminaliser toute langue ou culture régionale différente de la culture dite "nationale".
Otto von Bismarck a inversé ce principe : "à chaque langue son État". Par ce raisonnement, tous les territoires de langue allemande devraient être unifiés au sein d'un même État.
En 1867, Otto réussit à fédérer plusieurs États au sein de ladite Confédération de l'Allemagne du Nord. Cependant, les États du sud étaient hostiles à cette fédération dirigée par la Prusse. Pour les faire changer d'avis, il fallait trouver un ennemi commun qui menacerait les territoires de langue allemande.
C'est ainsi qu'en manipulant un simple télégramme, il a réussi à déclencher une guerre. Napoléon III, qui avait des ambitions outre-Rhin n'a pas hésité une seconde face aux provocations de Bismarck.
Une guerre assez courte
6 mois, c'est le temps que cette guerre a duré. Napoléon III déclara la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Un mois après, Strasbourg et peu à peu l'Alsace est tombée dans les mains des Prussiens, qu'y ont établi leur administration.
En septembre, Napoléon III est capturé à Sedan par les armées allemandes. Le même mois, la IIIe République est proclamée par Adolphe Thiers.
Le 18 janvier, un évènement majeur a eu lieu : l'alliance entre les États allemands ayant participé à la guerre a été scellé dans la galerie des glaces du château de Versailles.
L'Empire allemand est officiellement né, ayant Otto von Bismarck comme chancelier et Guillaume I de Prusse comme empereur.
L'armistice est ainsi signé entre l'Allemagne et la France le 28 janvier, c'est pourquoi cette guerre parfois porte le nom de guerre franco-allemande.
Un mois plus tard, des élections à l'Assemblée nationale ont eu lieu. L'assemblée, siégeant temporairement à Bordeaux, décida du sort de l'Alsace. Bismarck avait des prétentions territoriales en Alsace et en Moselle, des territoires de culture et langue germanique, où à peine 10 % de la population parlait le français.
Le gouvernement français de Thiers négocia et arriva à un accord. L'Alsace et une partie de la Lorraine allaient devenir des Terres d'Empire, cédées à l'Allemagne contre l'avis des députés alsaciens et lorrains (déclaration du 1er mars 1871) et d'une grande partie de la population locale.
La France a toutefois réussi à conserver un petit bout de l'Alsace en échange de davantage de territoires, non nécessairement germanophones, en Lorraine.
C'est ainsi que le 10 mai 1871, avec la signature du Traité de Francfort, le Bas-Rhin, les cantons vosgiens de Schirmeck et Saales, la presque la totalité des départements du Haut-Rhin et de la Moselle, et un tiers de Meurthe deviendront des terres allemandes.
Mais, revenons au but de cet article, ce territoire alsacien resté Français. Appelé jusqu'en 1922 "arrondissement subsistant du Haut-Rhin", le Territoire de Belfort est un morceau de l'Alsace restée française.
Pourquoi Belfort a-t-il échappé à la cession ?
Premièrement, le territoire de Belfort correspondait aux arrondissements francophones de l'Alsace, avec les vallées Welches (vallée de la Bruche, le val d'Argent et le val d'Orbey). Ces derniers territoires ont été intégrés à l'Empire allemand et la pratique du français y est resté autorisé jusqu'au début de la Première guerre mondiale, mais pourquoi Belfort n'a-t-il pas suivi le même sort ?
Belfort était une importante place forte qui a su faire face aux attaques des armées allemandes durant la guerre franco-prussienne. La ville a subi un siège de 103 jours qui s'est prolongé au-delà de l'armistice entre la France et l'Allemagne.
Ainsi, Belfort (Alsace) et Bitche (Lorraine) ont été les seules places fortes françaises à tenir face à l'armée allemande. En revanche, Bitche est bien devenue allemande, tout simplement parce qu'elle se trouvait dans la partie germanophone de la Moselle.
La France, espérant défendre le peu d'honneur qui lui restait après cette défaite, décida de batailler diplomatiquement pour garder Belfort. Bismarck décida alors d'offrir à la France la place de Belfort, comme une enclave parmi les nouveaux territoires allemands.
Le gouvernement de Thiers ne peut pas accepter ces conditions et demanda, en plus de la place forte, les territoires des alentours. En échange, les Allemands pouvaient récupérer davantage de territoires en Lorraine, notamment des zones ayant des intérêts économiques (mines, chemins de fer...), non nécessairement germanophones.
De cette façon, la France a réussi à conserver Belfort et son arrondissement. La frontière a été donc tracée sur la ligne de partage des eaux du Rhin et du Rhône, qui coïncide à peu près avec la frontière linguistique entre le monde germanique et roman.
Même si Belfort a fait longtemps partie de l'Alsace, et a appartenu durant 3 siècles à la famille de Habsbourg, la population a toujours parlé le "romain" et puis le français.
Dans les chroniques locales, on peut trouver des traces de cette langue romane parlée entre Belfort et Montbéliard. En 1674, receveur des domaines qui vint à Belfort, écrira : « Pour le langage, c’est un patois, qui n’est ni français ni allemand, qui tient pourtant de tous les deux, et que tous deux n’entendent point. Ils appellent ce jargon-là le Romain ».
Les Belfortains, Alsaciens ou Franc-comtois ?
Ayant guidé à Belfort pendant plusieurs mois au sein du service des visites guidées de l'office de tourisme, j'ai pu constater une division d'opinion parmi la population.
Alors que certains demandaient à être rattachés à l'Alsace lors de la réforme territoriale de 2016, d'autres s'entêtent à nier le passé historique de Belfort et son lien avec l'Alsace.
La raison de ce refus ? La langue, bien sûr ! « Les Belfortains, nous n'avons jamais parlé l'allemand ! Nous n'avons rien à voir avec l'Alsace ! ». Ce raisonnement repose encore une fois sur les questions nationales et identitaires, et cela est compréhensible, puisque après 1871, la ville de Belfort est devenue un haut lieu de pèlerinage pour le souvenir français et pour l'esprit revanchard.
Cependant, on trouve des références à l'Alsace partout dans la ville : Le Lion de Bartholdi, regardant attentivement l'Alsace et qui a été réalisé par le célèbre sculpteur alsacien Auguste Bartholdi, le monument du "Quand-même" qui représente une femme à la coiffe alsacienne tenant dans ses bras un soldat français mourant, ou encore le monument des "3 sièges" de Bartholdi également où l'on voit une petite alsacienne accompagnée d'un jeune soldat venant se réfugier à Belfort.
D'ailleurs, comme évoqué précédemment, en Alsace, il existe des territoires non-germanophones, le pays Welche notamment, où personne ne refuse son appartenance à l'Alsace malgré le fait de ne pas parler les dialectes alsaciens. Cela est certainement dû au partage des mêmes expériences tout au long de l'histoire et notamment entre 1870 et 1945.